10 mai 2006, Discours du Député-maire de Bordeaux lors de l’inauguration d’une plaque sur l’esclavage sur les quais des Chartrons

Mercredi 10 mai 2006

Discours de M. Hugues Martin

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du comité,

Monsieur Patrick CHAMOISEAU qui nous fait l’honneur d’être présent aujourd’hui à Bordeaux,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d’abord remercier tous les participants à cette émouvante manifestation qui revêt, n’ayons pas peur des mots, un caractère historique.

Aujourd’hui, 10 mai 2006, dans le sillage du Président de la République, la France honore officiellement la mémoire des esclaves. De tous les esclaves, mais en particulier de ceux qui ont transité dans les ports de notre pays.

La ville de Bordeaux entend s’associer solennellement à cet hommage. Notre cité fut, entre le 17ème et le 19ème siècle, un port négrier actif, avec plusieurs centaines de navires armés pour la traite.

Ce moment de notre histoire, que nous réprouvons tous moralement, ne doit pas être occulté.

Ses victimes innombrables ont droit à notre respect.

Nous savons à quel point les effets de cette pratique ont été catastrophiques pour le continent africain et pour les vastes régions du continent américain où l’esclavage a trop longtemps perduré.

Nous savons aussi qu’ils continuent de peser, à tous égards, sur l’existence des descendants d’esclaves et de meurtrir leur conscience.

C’est pourquoi j’ai souhaité qu’un Comité de Réflexion produise un rapport sur la traite des Noirs à Bordeaux, et suggère des propositions en vue de pérenniser notre devoir de mémoire.

Je remercie tout particulièrement mon ami, Denis TILLINAC, écrivain, militant de la Francophonie, ami de l’Afrique, assoiffé de justice, d’avoir accepté de présider et d’animer ce Comité. Il a rédigé ce rapport en toute liberté au terme de nombreuses consultations avec les membres de ce Comité. Il a perçu la sensibilité des différentes communautés qui forment la citoyenneté bordelaise et je pense, notamment, à nos compatriotes de souche africaine, antillaise, guyanaise ou venant de l’Océan Indien. Sans oublier les Haïtiens, qu’ils aient ou non acquis la nationalité française.

Je remercie les plus hautes autorités religieuses Catholiques, Juives, Musulmanes et Protestantes de notre ville ici présentes, de s’y être spontanément associées. Leur contribution témoigne d’un souci unanime de nos concitoyens bordelais d’assumer notre passé. Tout notre passé.

Je remercie les universitaires : historiens et chercheurs qui nous ont permis de prendre l’exacte mesure de la Traite des Noirs à Bordeaux, certains d’entre eux ayant d’ailleurs largement contribué à la documentation qui nourrit ce rapport.

Je remercie les militants des associations qui, depuis des années, avec une persévérance remarquable, oeuvrent pour que soient reconnus les faits, et honorées leurs victimes.

Cette journée commémorative vient parachever l’action qu’ils ont menée. Je compte évidemment sur eux pour que dans l’avenir, l’histoire de la Traite à Bordeaux ne soit ni oubliée, ni minorée, ni dénaturée.

Au-delà de la première préconisation, la mise en place de cette plaque commémoratives, j’ai chargé le Musée d’Aquitaine d’accorder une place importante à cette période de l’histoire bordelaise à la fois dans l’exposition temporaire qu’il consacrera prochainement à l’histoire du Port de Bordeaux mais aussi et surtout d’une façon permanente dans ses salles dédiées.

Je demande en second lieu à son Conservateur de préparer, d’organiser et de suivre la mise en réseau des ressources documentaires dont disposent d’autres grands ports européens comme Bristol, Bilbao et Porto, villes liées à Bordeaux par un jumelage ou un accord de coopération.

En liaison avec nos partenaires étrangers et d’autres villes françaises comme Nantes et La Rochelle, ce travail historique pourrait ainsi être poursuivi au travers, notamment, de colloques et de conférences.

Enfin, Bordeaux se doit d’accueillir encore mieux les ressortissants de ses différentes communautés ; le comité de veille et d’actions contre les discriminations et pour l’égalité fonctionne déjà bien.

Je vais, par ailleurs, sous mon autorité directe, confier à un membre de mon équipe une mission de coordination des structures et d’accompagnement de celles et ceux qui sont installés à Bordeaux ou qui rejoignent notre ville pour y vivre, y travailler ou suivre des études.

Pour Bordeaux, pour la République Française, soyons fiers de la cérémonie qui nous rassemble ici, dans ce port qui aura contribué à la prospérité de notre ville, mais aura été témoin et acteur d’un mode d’exploitation de l’homme par l’homme particulièrement scandaleux.

Notre présence exprime une indignation morale unanime. Elle se veut, dans l’ordre symbolique qui n’est pas insignifiant, un acte de réparation. Elle est en outre une pétition politique : nous formulons le voeu ardent que plus jamais, un être humain puisse être asservi en raison de sa race, de sa religion, de son condition sociale, de son passé, de son apparence. En quoi nous serons fidèles à une tradition de tolérance et d’humanité qu’illustrèrent, chacun dans son registre et contre les préjugés de son époque, un Montaigne, un Montesquieu qui tous deux déjà avaient pris position sur le caractère contre nature de l’esclavage.

Je n’oublierai pas Mauriac, pas plus, dans cette noble filiation, qu’un compagnon de la libération donc un homme qui a combattu l’asservissement qui menaçait notre peuple, Jacques Chaban-Delmas.

Il existe une corrélation directe entre la traite et le racisme et nous refusons le racisme, la haine xénophobe, le rejet de l’autre.

Puisse cet hommage rendu aux malheureux africains transplantés en Amérique contribuer à l’éradication de toutes les formes d’esclavage, aujourd’hui et à tout jamais, sur tous les continents ! Schoelcher, Césaire, Senghor, Fanon ont agi pour cette juste cause : poursuivons leur combat pour être digne de leur mémoire.

Pour conclure, je voudrais citer un écrit d’Albert Camus en 1958 : « Il est bon qu’une nation soit assez forte de traditions et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même.

Il est dangereux en tout cas de lui demander de s’avouer seule coupable et de l’avouer à une pénitence perpétuelle ».

Aujourd’hui 10 mai 2006, dans un esprit de fraternité et de concorde qui exclut toute culpabilité, la ville de Bordeaux se souvient que le Mal a été commis ici même pour des motifs où le mépris de l’autre et le mercantilisme étaient imbriqués. Au nom de tous nos compatriotes, je veux adresser aux victimes, par-delà le temps, ma respectueuse compassion. Qu’elles sachent que Bordeaux n’est pas amnésique et que leurs souffrances n’auront pas été vaines car nous allons tisser ensemble la trame d’une fraternité, sans exclusive. Ainsi Bordeaux sera digne de sa vocation francophone et transcontinentale. Plaque commémorative dévoilée quai des Chartrons

A la fin du XVIIème siècle, de ce lieu est parti le premier navire armé dans le port de Bordeaux pour la traite des Noirs. Plusieurs centaines d’expéditions s’en suivirent jusqu’au XIX ème siècle.

La Ville de Bordeaux honore la mémoire des esclaves africains déportés aux Amériques au mépris de toute humanité.

Cette plaque a été inaugurée par M. Hugues MARTIN, Député -Maire de Bordeaux le 10 mai 2006


 

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