10 mai 2006. Discours de Paul Vergès, Président de la Région Réunion, pour la pose de la première pierre du Lycée du 10 mai, à Saint-Paul

Discours de Paul Vergès, Président de la Région Réunion

Pose de la première pierre du lycée Saint-Paul IV

Saint- Paul, le 10 mai 2006

Bâtir un lycée, bâtir une nouvelle civilisation

Monsieur le Représentant de l’Etat,

Madame la Députée,

Monsieur le Représentant du Conseil Général,

Monsieur le Maire,

Mesdames, Messieurs,

Ce n’est pas un hasard si, dans cette cérémonie de pose de première pierre à cette date du 10 mai, nous sommes passés de considérations matérielles à une vision plus générale du destin de La Réunion et du destin du monde .

En ce 10 mai 2006, nous nous plaçons à la fin d’un cycle et au début d’un autre. Jean-François Delcourt a évoqué longuement les souhaits du Conseil régional de bâtir un lycée du 21e siècle, s’inscrivant dans des exigences d’économie d’énergie, d’utilisation d’énergies renouvelables, d’intégration du lycée dans son environnement en harmonie avec le relief. Il ne s’agit pas là de question d’esthétique ou de mode, mais de ce qui sera désormais une obligation.

Nous entrons dans une période où, quel que soit le lieu de décision, il nous faudra prendre conscience de la réalité si souvent obscurcie par les exploits quotidiens de ce qu’on appelle les médias. Ce lycée sera fréquenté par des jeunes dont la vie n’aura rien à voir avec la nôtre. Ils vont intégrer leur vie professionnelle dans ce premier quart de siècle où tout va se passer.

Vous entendez parler de la crise d’énergie et de l’après pétrole. Or, tout ce qui se déploie sur ce site dépend du pétrole. Le prix du baril ne va pas cesser d’augmenter jusqu’à notre prise de conscience de la fin du pétrole, au maximum dans quelques décennies selon les experts. Les réserves vont diminuer et entraîner une montée du prix énorme. Très rapidement, une autre économie, une autre civilisation sont à bâtir sur d’autres sources d’énergie que les sources traditionnelles qu’on identifie au développement, c’est-à-dire la houille et le pétrole. Comment allons-nous faire dans une petite île comme la nôtre ? Comment résoudre les problèmes qui sont devant nous ? Il y a un demi-siècle, l’île comptait un seul lycée. Nous en sommes à 42 et serons à 45 dans les années qui viennent. Nous devons livrer un nouveau lycée tous les 18 mois et le Conseil général doit construire un collège tous les ans.

Inventer un nouveau modèle de développement

Notre pays est donc confronté à un problème global qui concerne le monde entier : celui de la transition démographique qui pose tous les problèmes dans des termes totalement nouveaux. Ces lycées sont nécessaires parce que notre population a triplé et que sa croissance n’est pas terminée. Dans les 25 ans à venir, il faut prévoir de quoi nourrir, éduquer, installer, donner des emplois à une population supplémentaire de 250 000 habitants, c’est-à-dire l’équivalent de toute la population de La Réunion en 1945. Voilà les défis qui s’offrent à nous. Mais comment les relèverons-nous au moment où les sources d’énergie identifiées par tous aux capacités économiques, houille et pétrole, seront limitées ? Nous devrons donc trouver nos propres solutions car nous sommes dans une île de 2500 km2 et non au cœur de vastes continents.

Il nous faudra changer notre mentalité, notre modèle de développement, inventer de nouvelles valeurs. C’est notre responsabilité vis-à-vis des générations qui lèvent et, en particulier, celles qui vont fréquenter ce lycée. Notre responsabilité ne concerne pas les générations futures, mais, avec l’accélération de tous ces facteurs, elle concerne, plus immédiatement celle qui est déjà née et qui, elle, va subir dans sa vie les conséquences de nos décisions. C’est la responsabilité de ceux qui briguent le pouvoir et qui, par là même, lorsqu’ils le détiennent, ont vis-à-vis de leurs populations et de l’avenir une responsabilité écrasante.

Il est symbolique que la pose de la première pierre d’un nouveau lycée ait lieu ici, à Saint-Paul, où, il y a quelques siècles seulement, vécurent les premiers habitants de l’île, les premiers qui ont connu la pire des choses, l’esclavage condamné comme crime contre l’humanité par le Parlement français en mai 2001. Notre pays est né sous ses auspices-là.

Dans la mesure où l’île était inhabitée, notre peuple est issu d’ancêtres qui étaient tous, sans exception, des étrangers, nous sommes tous et toutes des fils et des filles d’immigrés, nous ne devons jamais l’oublier quand on entend ici et là certaines déclarations. Aucun autre peuple n’a des origines aussi diversifiées et c’est une chance extraordinaire pour les Réunionnais d’avoir, à la différence des Antilles, des ancêtres venus nombreux d’Europe, de Madagascar, du Mozambique, des Comores, du sud et du nord de l’Inde, venus de Chine, avec des minorités dont on a perdu le souvenir, des « engagés » du Vietnam, de Rodrigues, de l’île Salomon aux Chagos. Aucun peuple n’a des origines aussi diverses. Un récent colloque scientifique associant la génétique, l’histoire et l’anthropologie a montré qu’un Réunionnais a un milliardième de chance de pouvoir affirmer qu’il n’a pas de sang autre que celui d’une lignée unique d’ancêtres. Donc, tous les Réunionnais ont dans leurs veines, si l’on peut parler ainsi, du sang français, du sang indien, du sang malgache, du sang africain, du sang chinois, du sang comorien. C’est une grande chance, parce que nous portons en nous le signe de la reconnaissance de l’égalité entre tous les humains, quel que soit leur lieu de naissance, quelle que soit leur couleur, quelle que soit leur culture. Nous sommes des exemples de l’égalité entre tous. Le seul problème est de savoir si nous en sommes dignes. Il y a peut-être un symbole dans le fait que la pose de la première pierre a lieu ce 10 mai, date qui commémore pour toute la France la condamnation de la traite et de l’esclavage. Quelles que soient les décisions du futur conseil d’administration du lycée et de la mairie, je ne connais pas de plus beau titre pour un lycée qui éduque les jeunes que de porter le nom de « Lycée du 10 mai », illustrant la condamnation aux yeux du monde de ce crime contre l’humanité.

Histoire glorieuse, histoire sombre

Il faut souligner que c’est un parlement unanime qui a pris cette décision, mais aussi que les propositions de lois avaient été déposées par des élus d’Outre-mer : par Christiane Taubira, députée de Guyane qui a donné son nom à la loi, par les députés de La Réunion Elie Hoarau et Huguette Bello et je salue la présence ici de cette dernière. C’est un symbole que cela soit l’Outre-mer français qui ait demandé au Parlement d’intégrer ce qui était jusqu’à maintenant écarté de l’histoire de France.

Le peuple de France a une histoire la plus glorieuse qui soit non seulement par tout ce qui a présidé à son unité, mais par la défense d’un certain nombre de valeurs et quand vous voyez de par le monde les combats pour la liberté, notre combat ici pour l’égalité et la fraternité, on est obligé de penser à la devise de la République française. D’avoir porté au monde un tel message reste un objet de fierté.

Mais l’histoire des peuples n’est pas faite que de prouesses et de gloire, elle est faite aussi de parties sombres. L’une d’entre elles est d’avoir participé pendant des siècles à l’esclavage, cette mondialisation de l’ignominie qu’ont payée tous les peuples. C’est un geste de civilisation que d’avoir à l’unanimité intégré à l’histoire de France cette face obscure et d’apprendre aux jeunes d’aujourd’hui que l’histoire de France n’est pas faite que des idées du Siècle des Lumières, de la Révolution française et de déclarations au monde, mais qu’elle est faite aussi d’esclavage pour les pays d’Afrique et d’océan Indien. C’est un geste de responsabilité et nous devons souligner que la France et son parlement unanime ont été les premiers dans le monde à faire un tel geste qui devra obligatoirement servir d’exemple à tous ceux qui ont commis et qui commettent encore aujourd’hui des crimes contre l’humanité. Le fait pour des jeunes ici d’être éduqués, armés par les connaissances dans un lycée inauguré le 10 mai, est un signe pour eux du destin.

Etant donné les héritages sociaux et culturels, les retards provoqués par les différents régimes que nous avons connus - esclavage, colonisation -, notre pays est divisé. Une partie est très pauvre tandis que l’autre est modelée par la consommation occidentale. Comment développer un pays qui, sur une population de 780 000 habitants, compte 330 000 personnes à la CMU (Couverture Maladie Universelle), soit 40 % au-dessous du seuil de pauvreté ? Comment développer un pays qui compte 120 000 illettrés ? Tels sont les problèmes que nous transmettons aux nouvelles générations, en particulier celles qui fréquenteront ce lycée.

La tâche historique des jeunes générations

Mais elles peuvent avoir un rayonnement extraordinaire, parce que cette jeunesse habite un pays qui réalise des performances. 45 000 jeunes seront dans les lycées avant la fin de cette décennie. S’ils risquent d’alimenter le chômage des jeunes diplômés, ils peuvent aussi répondre à la forte demande des pays voisins dans tous les domaines, de l’enseignement, de l’agriculture, de la construction, de la médecine.

Les jeunes Réunionnais peuvent ainsi remplir leur tâche historique en transférant leurs connaissances acquises de pays développés aux pays de leur environnement. Ce rôle de transfert est une chance et la condition de notre développement, si nous intégrons le sens du co-développement. Il ne s’agit pas de se développer aux dépens des autres, mais de se développer avec les autres, sinon nous serons isolés et perdus.

Voilà la tâche qui attend nos jeunes. Pour cela, il faut créer de meilleures conditions de travail. C’est pourquoi nous remercions à la fois ceux qui ont conçu l’architecture de ce lycée, les bureaux d’études qui l’ont assisté, les entreprises qui ont emporté l’appel d’offres et les travailleurs qui bâtissent ce lycée à Haute Qualité Environnementale (HQE) et qui, pour des raisons historiques, n’ont pas eu la chance de fréquenter de tels lycées. Eux qui n’ont pas bénéficié de telles conditions, les créent pour la jeunesse à venir, et celle-ci aura vis-à-vis d’eux une dette considérable. C’est ainsi que nous développerons l’unité et la cohésion de notre pays.

Nous avons l’immodestie de croire que, dans un monde où s’annoncent tant d’affrontements religieux, identitaires, nous pourrons, nous devons, faire la démonstration que les Réunionnais, issus de peuples de tous les continents et qui ont connu des siècles d’humiliations et d’injustices, ont su trouver les moyens pour se reconnaître, pour s’unir et pour bâtir l’unité de La Réunion.


 

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