10 mai 2007. Discours de M. Patrice Tirolien, maire de Grand-Bourg (Ile de Marie-Galante, Antilles), ville jumelée avec Bagneux lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière et l’inauguration de SOLITUDE à Bagneux

Discours de M. Patrice Tirolien, maire de Grand-Bourg (Ile de Marie-Galante, Antilles), ville jumelée avec Bagneux lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière et l’inauguration de SOLITUDE à Bagneux le 10 mai 2007.

LA MULATRESSE SOLITUDE, UNE FEMME D’AVANT-GARDE, UNE COMBATTANTE DE LA LIBERTE

Je voudrais tout d’abord remercier, Marie-Hélène AMIABLE, Maire de Bagneux, de l’honneur qu’elle m’a fait en m’invitant à cette occasion exceptionnelle dans sa ville qui, faut-il le rappeler, est jumelée à Grand-Bourg. Cette invitation est hautement symbolique et me va droit au cœur. Elle témoigne de la considération que la Municipalité de Bagneux porte à des valeurs que je considère comme essentielles. Cette invitation exprime, plus que des mots, la confiance réciproque qui s’est instaurée entre nos deux villes et surtout entre les deux équipes municipales de Bagneux et Grand-Bourg. Il y a un mois, dans le cadre de la Transat Belle-Île en Mer / Marie-Galante, nous recevions une délégation de Bagneux chez nous répondant à l’invitation que j’avais faite de nous accompagner au départ à Belle-Île en Mer et à l’arrivée à Marie-Galante. Dans le même temps, un groupe d’aînés de Bagneux rendait visite à leurs homologues de Grand-Bourg. C’est dire combien nos liens sont forts et durables. Aujourd’hui, j’ai tenu à répondre à l’invitation de Marie-Hélène AMIABLE pour des raisons que tout le monde peut comprendre aisément. Il s’agit de célébrer le 10 mai. Cette date a été retenue pour marquer en France métropolitaine l’Abolition de l’esclavage et les luttes qui ont été menées pour sa suppression autant par des esclaves dans leur lutte quotidienne pour la survie que par des humanistes comme l’Abbé GREGOIRE et surtout Victor SCHOELCHER. Je voudrais ensuite souligner que cette année 2007 est particulière. En effet, l’Assemblée Générale de l’ONU, dans une résolution du 27 novembre 2006, a décidé de faire de 2007 l’année de la Commémoration de l’Abolition de la Traite par l’Angleterre. Dans de nombreux pays anglophones de la Caraïbe, qui ont été à l’origine de cette résolution de l’ONU, des Manifestations importantes ont lieu depuis le 1er janvier et vont se poursuivre jusqu’au 31 décembre. Même si la décision d’abolir la Traite est anglaise, elle nous concerne en Guadeloupe car elle était applicable à toute la Caraïbe. La décision britannique n’a pas empêché le trafic de nègres, mais elle a permis à des bateaux de la Royal Navy de contrôler les navires français, espagnols et hollandais qui continuaient à puiser en Afrique leur main d’œuvre servile. En Guadeloupe, à l’occasion de la Commémoration de l’Abolition de l’esclavage, qui se tient comme chaque année le 27 mai, la question du Bicentenaire de l’Abolition de la Traite sera largement évoquée. Pour revenir au sujet qui nous rassemble ce jour, je crois qu’il faut considérer comme une grande avancée la reconnaissance par la France de l’esclavage comme fait historique et surtout de lui consacrer la journée du 10 mai. Cette journée a été rendue possible par la Loi TAUBIRA du 10 mai 2001 qui reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité. Elle a été rendue possible par les travaux de nombreux historiens qui se sont penchés sur la question. Je pense à Jacques ADELAIDE-MERLANDE, mais aussi à Eric WILLIAMS à Trinidad. Ce sujet, longtemps enfoui dan les oubliettes de l’Histoire, est revenu au devant de la scène publique avec, notamment, le débat sur « les bienfaits de la colonisation ». Il est de bon ton dans certains milieux de revisiter l’Histoire pour masquer l’ignominie de certains et la responsabilité de l’Etat. Accuser les Africains d’avoir vendu leurs frères ou encore comparer la traite négrière et l’esclavage aux Amériques avec l’esclavage romain nous semble une manière de refuser les responsabilités que l’Histoire attribue au développement du capitalisme. D’un autre côté, un courant s’est développé pour réclamer des réparations. Philosophiquement, cette revendication parait juste car en 1848, à l’Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, les maîtres ont été indemnisés tandis que les anciens esclaves ont dû se contenter de la Liberté et de la Citoyenneté souvent au rabais. Ces dernières n’ont été admises d’emblée. Il a fallu batailler dur et je pourrais même dire que cette bataille n’est pas finie. Mais qui faut-il indemniser et comment ? Ce soir, nous célébrons la MULATRESSE SOLITUDE. Permettez-moi d’exprimer une certaine fierté de voir cette figure emblématique du combat pour la liberté trouver en terre française, à Bagneux la reconnaissance à laquelle elle a droit. Comme vous le savez, LA MULATRESSE SOLITUDE naquit à Capesterre des oeuvres d’un colon et d’une esclave. Elle-même plongée dans la servitude, elle accueillit avec satisfaction la 1ère Abolition de l’Esclavage décrétée par la Convention en 1794 et mise en oeuvre par Victor HUGUES. Comme beaucoup de Guadeloupéens de l’époque, elle crut que la Liberté ne pouvait plus être remise en cause et que les grands principes puisés dans la Révolution française étaient extensibles aux colonies. Elle dut déchanter quant Napoléon Bonaparte a décidé en 1802 de rétablir l’esclavage dans les colonies. Se résigner ou résister. Tel fut le dilemme auquel fut confronter la communauté guadeloupéenne. LA MULATRESSE SOLITUDE répondit à ce dilemme de façon claire. Elle n’hésita pas à rejoindre DELGRES, IGNACE et tous les combattants qui refusaient les fers de la servitude. Pourtant, elle était enceinte. Cela ne l’empêcha pas de participer activement à la résistance contre les troupes du Général Richepance, l’envoyé de Napoléon venu rétablir l’esclavage. Tous les récits de l’époque relatent sa farouche détermination, les armes à la main pour défendre la Liberté. Alors que ses compagnons d’armes moururent au combat les 26, 27 et 28 mai 1802, LA MULATRESSE SOLITUDE fut arrêtée et condamnée à mort. Les autorités attendirent qu’elle mette au monde un nouveau petit esclave pour ensuite l’exécuter sans pitié et sans égard le lendemain de son accouchement. Son crime est le plus grave que puisse accomplir un esclave : vouloir la liberté et se battre pour elle. Cette histoire, hors du commun, a été relatée dans le magnifique roman que lui a dédié André SCHWARZ-BART en 1972 (La Mulâtresse Solitude). En honorant la MULATRESSE SOLITUDE, ce 10 mai à Bagneux, vous honorez les millions d’esclaves qui ont souffert dans leur âme et dans leur chair des affres de la servitude. En honorant LA MULATRESSE SOLITUDE ce jour, vous célébrez la Liberté, ce bien précieux chèrement acquis par le combat sans relâche des esclaves. En honorant LA MULATRESSE SOLITUDE aujourd’hui, vous rendez hommage à la Femme. Même dans les plantations, au plus profond de la misère, de la dégradation physique et morale, les femmes ont su porter très haut l’étendard de la Liberté et de la Résistance. A côté de LA MULATRESSE SOLITUDE d’autres femmes ont lutté vaillamment. C’est le cas notamment de MARTHE ROSE, la compagne de DELGRES qui périt avec lui à Matouba au cri de « VIVE LIBRE OU MOURIR ». Je dois aussi mentionner le cas de l’esclave GERTRUDE à Petit-Bourg qui fut brûlée vive. Je profite de l’occasion pour faire un clin d’oeil à la Caraïbe et surtout à NANNY en Jamaïque qui mena un combat opiniâtre à la tête des marrons et obtint la signature d’un Traité avec l’Angleterre. Des voix se sont élevées pour réclamer l’entrée au Panthéon de LA MULATRESSE SOLITUDE avec OLYMPE DE GOUGES qui milita aussi activement pour l’Abolition de l’esclavage. Dans une lettre ouverte signée de Maryse CONDE, d’Aimé CESAIRE, d’Edouard GLISSANT, d’Elisabeth BADINTER avec le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) il est instamment demandé aux autorités politiques d’envisager l’entrée au Panthéon de ces deux figures féminines. En attendant, à Bagneux déjà, LA MULATRESSE SOLITUDE reçoit une forme de consécration posthume. C’est toute l’importance de la Manifestation de ce soir. Je ne peux que féliciter aux noms de la Guadeloupe, au nom des Femmes guadeloupéennes, Marie-Hélène AMIABLE pour cette décision de dédier à cette « famn doubout » un monument. Je me dois de préciser qu’une rue de Grand-Bourg porte depuis 1998 son nom en reconnaissance de l’héritage qu’elle nous a laissé. Je remercie tous nos amis de Bagneux d’avoir su intégrer la diversité historique et culturelle dans leur démarche politique. Cette magnifique rencontre de ce soir me réconforte et me donne foi en l’avenir. Les Hommes ne sont pas faits pour se haïr. Les Hommes doivent pouvoir par delà les frontières, par delà les origines ethniques, par delà les croyances se tendre la main. C’est donc la main tendue à tous mes frères et sœurs, où qu’ils se trouvent que je termine mon propos. VIVE LA FRATERNITE ! VIVE L’AMITIE ENTRE BAGNEUX ET GRAND-BOURG !


 

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