32.Discours de Michaëlle Jean, Gouverneure générale du Canada. Bordeaux. 10 mai 2008

Source : www.gg.ca/gg/rr/sv/france_f.asp.

Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean

Discours à l’occasion de la cérémonie de commémoration de la fin de l’esclavage Bordeaux, le samedi 10 mai 2008

Moi, arrière arrière petite fille d’esclaves, je suis venue, en ce lieu précis, et à l’invitation du maire de Bordeaux, ancien port négrier, saluer la mémoire de millions d’Africaines et d’Africains déportés vers les Amériques où, au mépris de toute humanité, ils furent réduits à l’esclavage.

Moi, gouverneure générale du Canada, je suis ici surtout pour que leur mémoire, tant leurs souffrances que leur affranchissement, ne se perde pas dans la nuit des temps et pour affirmer plus fort que tout, selon cette formule si juste, que « le nom d’homme repousse celui d’esclave ».

Moi, femme noire des Amériques, je vous convie d’être à l’écoute de celles et de ceux qui, aujourd’hui et sous toutes les latitudes, ont à cœur de desserrer l’étau des préjugés et de briser les chaînes de l’injustice et de la tyrannie. Car c’est la façon la plus éloquente de reconnaître l’un des crimes les plus barbares contre le genre humain.

Moi, mère et citoyenne, je vous invite à ne jamais relâcher votre vigilance devant le moindre signe d’intolérance et de contrer par tous les moyens l’incompréhension des uns qui engendre trop souvent l’exclusion des autres. Moi, en deuil comme tant d’autres du regretté Aimé Césaire, je dis avec lui et pour nous tous « qu’elle est debout la négraille », « debout à la barre, debout à la boussole, debout à la carte, debout sous les étoiles, debout et libre ».

Et, ensemble, en ce jour solennel, faisons enfin la promesse de tout mettre en branle pour que désormais et en tous lieux, les forces de la création et de la fraternité triomphent des forces de la destruction et de la haine.

Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean

Discours à l’occasion d’une discussion table ronde sur l’abolition de l’esclavage Bordeaux, le samedi 10 mai 2008

Je vous remercie chaleureusement d’être venus en si grand nombre ajouter votre voix à celles qui ont à cœur de favoriser le dialogue interculturel, tout particulièrement en cette journée où la France a choisi d’honorer la mémoire de ces millions d’Africaines et d’Africains déportés et réduits à l’esclavage.

Je participerai plus tard à la cérémonie commémorative sur les quais de la Garonne, et je vous invite à m’y accompagner. J’aimerais que nous y marchions ensemble.

L’occasion est opportune, me semble-t-il, de réfléchir aujourd’hui au sens que nous voulons donner à cette page sombre de notre histoire, de même qu’à notre volonté d’aller de l’avant et de miser désormais sur cette force vive que représente notre détermination à vivre ensemble.

Aimé Césaire, à qui nous pensons beaucoup ces jours-ci, disait qu’« un peuple qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir ».

Ce que j’entends dans cette phrase prophétique, c’est que la mémoire n’est pas là pour que nous la ressassions mais, au contraire, pour que nous y puisions une sagesse qui nous permette de nous réinventer, pour le mieux et pour le bien du plus grand nombre. Le travail de la mémoire ne consiste pas à accuser, ni à établir des listes, ni à faire des calculs.

Après tout, comme le posait la question éthique de Serge Daget : « Est-on moins négrier pour avoir déporté un seul Noir esclave qu’une cargaison de deux cents individus ? »

Le travail de la mémoire, tel que je le conçois, consiste plutôt à faire triompher les forces de la création des forces de la destruction.

Voilà ce à quoi nous sommes conviés ici, en cet ancien entrepôt des denrées coloniales aujourd’hui magnifiquement consacré à l’expression artistique au sein de la Cité.

Je me réjouis par ailleurs de voir autant de jeunes, de part et d’autre de l’Atlantique, s’intéresser au dialogue interculturel.

En mars 2007, à la résidence du gouverneur général, à Ottawa, à l’occasion de la Journée consacrée à l’élimination de la discrimination raciale, nous avons organisé une rencontre avec des jeunes, un forum étudiant auquel ont participé également des parlementaires, députés, sénateurs, ministres, des membres du corps diplomatique également et différents représentants de la société civile, pour souligner le bicentenaire de la loi d’abolition de la traite des esclaves dans l’Empire britannique.

Mars 2007 donc, anniversaire d’une importance capitale car il commémore le jour où la traite des esclaves et l’esclavage sont devenus des pratiques illégales sur le territoire canadien et où ce commerce a été reconnu pour ce qu’il était sans équivoque : l’un des crimes les plus barbares de l’histoire de l’humanité.

En tant qu’arrière arrière petite fille d’esclaves africains et amérindiens, j’ai été rassurée et impressionnée par la vivacité des échanges et par la résolution des jeunes à desserrer l’étau des préjugés, du racisme, et à abattre les murs de l’injustice et de toutes les exclusions et à lutter pour l’égalité des chances.

Les jeunes reconnaissent que des décennies de ségrégation et d’esclavage ont laissé des séquelles de racisme et d’intolérance qui continuent de se manifester dans nos collectivités, tantôt ouvertement, tantôt sournoisement.

Mais leur vigilance est entière, car ils sont déterminés à contrer l’incompréhension des uns qui engendre encore trop souvent l’exclusion des autres.

Ces jeunes veulent par-dessus tout que le Canada préserve la réputation qu’il a acquis dans le monde entier comme idéal de société pluraliste où chaque citoyenne et chaque citoyen sont égaux en droits.

Je sais que les jeunes d’ici ont les mêmes convictions et mènent les mêmes combats. Je vois en vous toutes et tous une source d’inspiration et une promesse d’espoir. Aucune société n’est à l’abri de la discrimination raciale, et j’estime qu’il est impossible de surmonter les enjeux du présent sans avoir un regard lucide sur les leçons du passé. Ce qu’il importe de souligner en ce jour, oui, disons-le franchement, en ce jour solennel, c’est la nécessité d’être solidaires malgré nos différences, et de miser sur ce qu’il convient d’appeler une mondialisation des solidarités.

Seule une telle mondialisation donnera à chaque individu et à chaque peuple la possibilité de participer au « chanter commun », selon la si belle expression d’Édouard Glissant.

Pour moi, personnellement, et en ma fonction de gouverneur général du Canada, cette expression résonne comme notre vœu le plus cher.

Maintenant, chers amis, à vous la parole.


 

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