Comment s’est établi le lien entre "crime contre l’humanité" et "esclavage"

La loi n°2001-434 du 21 mai 2001 adoptée par le Parlement français porte le nom de "loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité".

L’article premier de la loi, le plus souvent cité, stipule "La République française reconnaît que la traite transatlantique ainsi que la traite dans l’Océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité".

Le lien entre traite, esclavage et crime contre l’humanité n’est ni une "invention" de la loi de 2001, ni une proclamation limité à la France.

§1/ De l’abolition définitive de l’esclavage en France en 1848 en tant que "crime de lèse humanité" à l’inscription dans le droit pénal français de la notion de "crime contre l’humanité" après 1945

Les abolitionnistes français qualifiaient l’esclavage de "crime de lèse-humanité".

La volonté que certains crimes ne puissent bénéficier de la prescription après la seconde guerre mondiale entraîne l’adoption par la France, en 1964, d’une loi inscrivant le "crime contre l’humanité" dans le code pénal. Le "crime contre l’humanité" est le seul imprescriptible dans le droit français.

Les procédures ouvertes donnent lieu à une jurisprudence déterminante dans la définition du crime contre l’humanité.

- Par exemple, le 20 décembre 1985, un arrêt de la Cour de cassation élargit la notion de victime de tels crimes aux victimes de discriminations politiques, en plus des victimes de discriminations raciales ou religieuse, afin que soient jugés ceux qui ont persécuté les Juifs aussi bien que les résistants (notamment Klaus Barbie en 1987 et Paul Touvier en 1992).

- En 1994, le Parlement adopte une loi définissant précisément le crime contre l’humanité (articles 211-1, 212-1 et s. du Code pénal) — et prenant en compte la jurisprudence.

- Le 22 janvier 1995 et le 22 mai 1996, des lois françaises étendent la compétence des tribunaux français aux crimes relevant des TPIY et TPIR (voir §2).

En dépit de la ratification par la France du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 9 juin 2000, aucune loi n’a à ce jour été votée par le Parlement français qui permettrait d’instaurer la compétence universelle des juridictions françaises pour connaître des crimes relevant de la compétence de la Cour : le génocide, le crime de guerre et le crime contre l’humanité.

Par la loi n°2001-434 du 21 mai 2001, la France reconnaît officiellement que la traite des noirs et l’esclavage constituaient des crimes contre l’humanité. La négation de ce crime contre l’humanité est rendu passible de poursuites judiciaires par l’article 5 de la loi.

§2/ La notion de "crime contre l’humanité" dans la justice internationale et la répression de la traite et de l’esclavage contemporain

(notice élaborée à partir du site de la documentation française : dossier numérique consacré à la justice internationale : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/justice-penale-internationale/index.shtml)

A la différence du crime de génocide, il n’y a pas, pour les crimes contre l’humanité, de définition généralement admise. Toutefois, il convient de rappeler que c’est le tribunal de Nuremberg qui fixe en 1945 le concept juridique de crime contre l’humanité et qui, dans ses statuts, inscrit "la réduction en esclavage" au nombre des "crimes contre l’humanité.

Dans les faits, la notion de "crime contre l’humanité" recouvre une catégorie complexe de crimes dont la qualification, au niveau international et des Etats, relèvent de juridictions multiples. Elle est étroitement liée à la reconnaissance de la justice internationale, et, à partir de 1998, de la Cour pénale international (CPI) par les Etats.

- Le Statut du Tribunal de Nuremberg désignait sous ce terme "l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques raciaux, ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime"

- Les statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie et pour le Rwanda reprennent les crimes énoncés par le Statut du Tribunal de Nuremberg mais l’expulsion est substituée à la déportation et sont mentionnés en outre l’emprisonnement, la torture et le viol.

"Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit :(a) Assassinat ;(b) Extermination ;(c) Réduction en esclavage ;(d) Expulsion ;(e) Emprisonnement ;(f) Torture ;(g) Viol ;(h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses ;(i) Autres actes inhumains." (article 5 "crimes contre l’humanité"du statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie)

Il est important également de noter que le contexte de commission de ces crimes est précisé dans ces différentes définitions et varie pour chacune d’entre elles. Ainsi, le statut du Tribunal de Nuremberg et celui du TPIY lient les crimes contre l’humanité à un contexte de conflit : le premier fait directement référence à "la guerre" -sous-entendu la seconde guerre mondiale- et à la période qui l’a précédée, tandis que le second précise que le TPIY a compétence pour juger des crimes cités "lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne.. ". En revanche, le statut du TPIR ne fait pas référence à un contexte de guerre mais à celui d’une attaque systématique de la population civile.

"Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes responsables des crimes suivants [énumérés ci-dessus] lorsqu’ils ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse. " (article 3 "crimes contre l’humanité" du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda).

- C’est ce contexte élargi qui a été choisi dans la rédaction du statut de la Cour pénale internationale, l’article 7 reprenant la formulation de l’article 3 du Statut du TPIR en y ajoutant la prise en compte de la connaissance qu’ont eu les auteurs des crimes de l’attaque généralisée et systématique contre une population civile.

"Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque..." (article 7 du Statut de la Cour pénale internationale)

De plus, et c’est là une grande innovation du statut de Rome, la liste des crimes contre l’humanité a été précisée et allongée, notamment pour inclure les disparitions, l’apartheid (qui avait été qualifiée de crime contre l’humanité dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973) et les crimes sexuels graves autres que le viol.

Selon l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale, la liste des crimes contre l’humanité comprend :

"meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; déportation ou transfert forcé de population ; emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; torture ; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (..) ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; disparitions forcées de personnes ; crimes d’apartheid, autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale."

La qualification de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité vise donc les formes actuelles de réduction en esclavage, et, par sa loi de 2001, la France reconnait symboliquement cette qualification pour la traite et l’esclavage qu’elle a pratiqués dans le passé.

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